La Tour Lopez, BNP Paribas Immobilier ou l’art de restaurer

Maîtrise d’ouvrage : ENPPI et OGIC
Maîtrise d’œuvre : BNP Paribas Immobilier
Architectes : Dominique Hertenberger et Arte Charpentier
Paysagiste : Peno & Fena
Artiste sculpteur : Véronique Sabatier
Programme : 153 logements dont 39 sociaux : 3 maisons, 3 000 m2 de bureaux avec services, restaurant d’entreprise et jardin
Surface de la parcelle : 10 500 m2

À l’issue de la large consultation lancée auprès des promoteurs immobiliers pour obtenir la meilleure offre foncière, le choix de la CAF s’est porté sur OGIC. Ce promoteur s’est alors associé à BNP Paribas Immobilier, spécialisée dans la réhabilitation lourde d’immeubles tertiaires. L’opération s’est donc engagée selon un partenariat financier à 50 % et un travail d’études menées de concert entre les deux agences d’architectes retenues par les deux parties. Le plan-masse a été revu en accord avec les services de la ville afin d’utiliser au mieux le COS de la parcelle. Le succès de projets de ce type tient autant à l’analyse en amont du bâti et de ses qualités intrinsèques qu’à la nouvelle valeur d’usage et au respect de la structure d’origine. La pratique et l’expérience de BNP Paribas Immobilier, premier constructeur francilien d’immobilier d’entreprise, s’est affirmée par des opérations d’ampleur qui modifient la physionomie de la capitale : la reconversion des Grands Moulins de Pantin, l’intervention sur la ZAC Claude Bernard, la transformation de l’ancienne tour de l’Urssaf, à Montreuil, ou l’opération phare de l’îlot Bergère à Paris IXe. Si le coût de la réhabilitation excède habituellement de 25 % le prix du neuf, en revanche cette démarche, sans négliger la performance économique, tend à instaurer un dialogue fécond entre mémoire et modernité.

De la barre à l’îlot

L’équation financière une fois résolue rue Viala, Arte Charpentier et Associés, en charge de la réhabilitation, s’est imprégné du projet Lopez pour comprendre la conception de l’ensemble et en respecter les principes majeurs : d’une part, l’alignement sur rue et en cœur d’îlot l’immeuble désaxé, d’autre part, le parti constructif d’une façade suspendue transparente. À ces contraintes premières s’ajoutaient celles des normes de sécurité en vigueur pour un plan libre.

Le choix de la simplicité a donné sa force au nouveau projet. L’équipe d’architectes a joué la perméabilité du site sur le plan du fonctionnement comme de l’œil. Une diagonale réunit les deux rues servantes, l’une et l’autre à sens unique ; en son centre magnifié par le carénage du restaurant d’entreprise, l’arrondi d’un vaste hall en verre au fond duquel chatoie une sculpture de Sabatier accueille le visiteur. En vis-à-vis, une stricte façade nue délimite des locaux techniques et assure la séparation avec l’espace que s’est réservée la CAF. De chaque côté, un rappel tangible du récent passé de l’édifice le conforte dans son nouvel environnement : l’escalier, très connoté années 1950, conduit désormais à la cafétéria et va vraisemblablement trouver une utilisation plus conviviale ; Un pignon en pierre achève la clôture sur rue.

Les huit plateaux de mille cinq cents mètres carrés devraient accueillir chaque jour plus de huit cents personnes, et le restaurant près de six cents couverts. Pour réaliser cette prouesse sans défigurer l’édifice, la façade a été enrichie d’une double peau, et le bâtiment contreventé par un noyau en béton recevant les cages d’ascenseurs, les escaliers et les sanitaires. Ce noyau dur a permis de séparer chaque niveau en deux lots indépendants pour les futurs utilisateurs. Il a remplacé les dessertes initialement implantées aux deux extrémités.

D’un prototype à un principe

Pour maintenir les façades, non plus en plastique et aluminium, mais en verre et acier, tout en installant des espaces de bureaux confortables, se posait la question de la surcharge des planchers et plafonds, soit deux cent cinquante kilos par mètre carré. Les architectes ont réalisé un allègement en bout de flèche grâce au maillage de la trame d’origine sur vingt-deux poteaux renforcés et au sas du cheminement de maintenance et de ventilation entre les deux peaux. Cependant, pour des questions de confort et d’ergonomie, les espaces sont climatisés. En revanche, les bureaux jouissent tous de la lumière naturelle et le chauffage est raccordé au réseau urbain. La réhabilitation s’inscrit dans le cadre de la démarche de certification “Haute Qualité Environnementale” et des critères les plus exigeants en matière de développement durable. Le profil environnemental retenu vise cinq cibles au niveau “très performants”.

L’expérience de BNP Paribas Immobilier reconnue en matière de conduite de projets immobiliers, de gestion immobilière d’exploitation et de maintenance, a été mise à profit dans l’opération et a permis de définir des exigences fortes en matière de confort et de fonctionnalité des occupants afin d’améliorer leur cadre de vie. La qualité de l’insertion urbaine, d’une part, et celle des choix architecturaux et techniques, d’autre part, ont permis d’atteindre ce résultat. Les maîtres d’ouvrage réussissent ainsi à concilier les enjeux environnementaux modernes avec les contraintes historiques du bâtiment. L’opération a obtenu à ce jour la Certification HGE pour les phases de programmation et de conception.

La façade intérieure est déclinée en bois dans le registre des cloisons de bureaux et adopte une trame identique à celle de l’extérieur, mais en décalage, subtilité qui demeure imperceptible depuis la rue. La sobriété de l’aménagement et la sélection des matériaux correspondent à l’esprit dépouillé qui présida à la création de l’édifice, sans être cependant dénuées d’humour.

La rénovation de cet immeuble, qui peut être qualifié de neuf et qui arbore fièrement sa structure métallique, institue une référence incontournable dans la difficile réhabilitation des édifices du XXe siècle.

Olivier Courtaigne et Paola Lembo Lecinq
BNP Paribas Immobilier


Un sujet de débat

À la suite de la création de la Sécurité sociale en 1946, la décision fut prise de rassembler les dix bureaux parisiens de la Caisse d’allocations familliales en un lieu situé dans le XVe arrondissement pour donner l’image d’un grand service public social et moderne. Le projet fut confié aux architectes notoires de l’époque, Raymond Lopez et Marcel Réby. Le chantier se déroula entre 1955 et 1959. Raymond Lopez proposa l’implantation de trois bâtiments sur lot triangulaire avec, en point d’orgue de la composition, une tour de huit étages volontairement désaxée par rapport aux voies environnantes. Ce parti en rupture avec le contexte renforçait l’image surprenante de cet objet monumental et innovant. Dans cette période de l’après-guerre, l’ossature de la tour composée de deux rangées centrales de poteaux et de planchers métalliques sur poutres “Cantilever”, était une première. Le choix de l’assemblage à “sec” d’éléments usinés préfabriqués comme mode de production d’un bâtiment de cette échelle constituait un défi. Cette structure en porte-à-faux permettait de dégager de vastes plateaux et de décharger de leur rôle porteur les façades, devenant ainsi des rideaux de lumière suspendus aux poutres supérieures. Ces façades, premiers murs rideaux à structure aluminium suspendue, valurent à la tour Lopez sa notoriété dans le monde des constructeurs.

Conséquence de la décentralisation en 1991 des services de la CAF, le site parisien sera vite jugé trop vaste, trop coûteux et obsolète pour les utilisateurs. Corrolaire de la vente du site, la démolition de la tour Lopez laissait place à une opération immobilière d’envergure et à forte rentabilité. C’est dans cet esprit que le propriétaire s’engagea afin de tirer les meilleurs bénéfices de la cession. En 1997, afin de sauver la tour Lopez d’une démolition annoncée et suite à une prise de position du milieu des architectes parisiens en faveur de sa conservation, le ministère de la Culture engage une instance de classement et commande une étude de faisabilité pour la réutilisation du site. Les architectes Reichen et Robert, maîtres d’œuvre de l’étude, définissent un nouveau plan masse conservant uniquement la tour et avec, pour cet objet emblématique, une proposition de doublage du mur rideau originel par une paroi en verre.

L’arrêté d’inscription signé le 9 novembre 1998 et attaqué par la CAF, a été confirmé par le tribunal administratif. Cependant, cette protection au titre des monuments historiques fut annulée par un arrêté du Conseil d’État en date du 29 juillet 2002 pour les motifs suivants : « la pose de pare-soleil en aluminium sur les panneaux de la façade et la dégradation de ces panneaux ont profondément altéré l’ouvrage originel » ; « les travaux de réhabilitation envisagés tendraient à dénaturer davantage le caractère propre des façades. » Suite à ce couperet, loin des réalités de la gestion du patrimoine bâti et de sa nécessaire adaptation, la polémique reprit. Prenant part au débat, le SDAP de Paris choisit, par son avis du 25 novembre 2002, de s’opposer au permis de démolir de la tour Lopez, considérant que sa valeur architecturale avait été reconnue par une commission de spécialistes habilités à cet effet et que l’étude de faisabilité pour la réutilisation du bâtiment ne remettait pas en cause les caractéristiques fondamentales de la construction. Il s’agissait d’un avis simple, mais qui eut cependant un certain écho… Finalement, la vente se conclua entre la CAF et le promoteur OGIC avec pour condition la conservation de la tour.

Pour quelle raison OGIC a-t-il choisi le site de la CAF?

Gilles Bayon de la Tour : Nous nous sommes intéressés à la problématique de la reconversion du site de la CAF pour trois raisons. En tant que promoteurs, nous traitons des opérations à dimension patrimoniale forte, comme la maison de la Reine Blanche (Paris XIII). La protection au titre des monuments historiques de la tour constitue pour nous un atout, gage de qualités du projet, et l’architecte Dominique Hertenberger avait trouvé, en transformant le dernier étage de la tour en local technique, une solution pour échapper à la contrainte de l’IGH. Le projet comprend trois éléments structurants : la tour monumentale, les bâtiments neufs en couronne et le jardin. La restructuration de la tour, opération complexe fut confiée au cabinet Arte Charpentier, Dominique Hertenberger a réalisé les immeubles de logements. Leur architecture décline une écriture contemporaine et sobre avec, pour leitmotiv, le balcon aux lignes métalliques noires et épurées. Pour le jardin, la paysagiste Christine Péna a conçu un écrin significatif au pied de l’architecture innovante de la tour.

Quelles sont pour vous les conditions de la conservation du patrimoine du XXe siècle ?

Gilles Bayon de la Tour : L’implantation de la tour en travers du terrain conditionnait le projet de construire pour passer d’une densité très faible de 1,5 à une densité raisonnable de 2 à 3,5. L’étroite adéquation entre bâtiment et futur usage guide la mutation. Nous avons conservé la vocation tertiaire en correspondance avec l’organisation par plateaux et parce qu’il y avait une demande à exploiter. Ce qui n’est pas un détail, mais bien une condition de réalisation : la hauteur sous-plafond permettait de disposer des gaines pour la modernisation des équipements. Le faux-plafond qui masque ces imposants ajouts, reprend le profil d’origine en aile d’avion. Au final, Les bureaux présentent les mêmes qualités techniques que des bureaux neufs et intègrent la certification NF certifiée HGE. La conservation des bâtiments de la Reconstruction se heurte au problème de la mise aux normes de structures souvent construites à l’économie. Cette opération complexe dans sa phase projet, s’est révélée sans problème dans les phases administratives, de chantier et commerciales.

Propos recueillis auprès de Gilles Bayon de la Tour,
PDG d’OGIC, par Stéphanie Celle, architecte-urbaniste de l’État