Les caves coopératives dans les villages du Var - Des constructions repérables dans le tissu villageois

La cave coopérative du couvent des Cordeliers à Brignoles. © Jacques Guérin.
La cave coopérative du couvent des Cordeliers à Brignoles. © Jacques Guérin.

Dans le paysage rural varois, qu’il soit de plaine ou de colline, chaque village est constitué d’une part, par des constructions domestiques et est, d’autre part, marqué par des constructions plus particulièrement repérables, les lieux de culte (église, collégiale, abbaye, chapelle), les lieux de pouvoir aristocratique, bourgeois et administratif (châteaux, bastides, mairie, école, caserne de pompiers) et les lieux de l’activité économique : les moulins, les pigeonniers et les caves vinicoles.

Dans le tissu villageois varois, avec l’église et parfois le château, la cave vinicole fait partie depuis le début du XXe siècle des bâtiments emblématique du territoire rural par son volume imposant et par son histoire.

Le Mouvement coopératif…

L’origine du mouvement coopératif se partage entre l’Allemagne (boulangerie coopérative en 1847) et l’Angleterre dès la première moitié du XIXe siècle (tisserands regroupés en coopérative à Rochdale en 1848 au Pays de Galles).
En France, les syndicats agricoles se mettent en place dès la deuxième moitié du XIXe siècle et le mouvement se structure avec les lois sociales et progressistes de la IIIe République : en 1881 par la création du ministère de l’Agriculture, en 1884 par la loi autorisant les syndicats, en 1886 par la loi autorisant les sociétés de crédit agricole, en 1901 par la loi Waldeck-Rousseau instaurant la liberté d’association, et en 1906 par la loi fixant les conditions d’agrément et de fonctionnement des caves coopératives.
Actuellement, il existe en France 21 000 caves coopératives, employant 700 000 salariés.

La conjoncture économique…

Les coopératives agricoles apparaissent dans une période de difficultés qui touchent l’ensemble du vignoble français : d’une part la crise du phylloxéra (1863-1900), d’autre part les crises de surproduction et de mévente du vin du fait des nouvelle plantations de vignes hybrides (plus productives), de la fraude (sucrage et mouillage), et de la production concurrentielle (Espagne, Italie et Algérie).
La création d’une cave coopérative constitue une réponse d’atténuation à la crise pour une production disséminée entre de nombreux petits producteurs isolés avec des moyens limités. Le regroupement coopératif associé à l’ouverture du crédit mutualiste va permettre la mise en place d’un outil coopératif d’échelle industrielle.
Le système coopératif permet des améliorations à différents niveaux : pour la production par l’amélioration des cépages, des modes de culture et de récolte, pour la transformation par un traitement de la récolte et une vinification rendue plus fiable et performante grâce à la mise en œuvre de matériels et de techniques auxquels le petit viticulteur isolé ne peut accéder, et, pour la commercialisation par la mise en place d’un stockage de grand volume qui permet de faire face aux variations de la demande et de s’affranchir des aléas du négoce et des intermédiaires.
Par ailleurs le système coopératif permet une rétribution anticipée sur la vente de la récolte et une couverture sociale.
La crise du phylloxéra a entraîné la disparition du vignoble traditionnel1 composé de variétés vernaculaires qui a été remplacé par des plantations de vignes greffées sur des porte-greffes américains (résistant au phylloxéra) plus productifs.
Les aides financières de l’État destinées à améliorer la production (aide à la régénération des cépages) et à éviter la disparition du tissu social des petits producteurs a entraîné une modification du mode productif de la petite viticulture lors de son engagement dans la coopération de production, de transformation et de vente à grande échelle.

Et politique…

Au début du XXe siècle, la population agricole vivant de la vigne est dominante (le blé, le mûrier ont régressé du fait de la concurrence avec l’ouverture concurrentielle apportée par le chemin de fer) tant dans le Var que dans le Languedoc-Roussillon.
Cette population représente une force sociale que les courants politiques cherchent à capter par des actions d’aide et de dynamisation du mode associatif qui trouve son expression dans le mouvement coopératif des caves vinicoles.
Trois courants politiques entraîneront le milieu viticole dans l’histoire de la coopération : le catholicisme social des grands propriétaires, le radicalisme représenté par Georges Clémenceau (originaire du Var) et le socialisme qui devient la première force politique du Var.
Ce partage entre «rouges» et «blancs» important dans le Var aura pour conséquence une concurrence dans les installations de caves qui seront doublées dans certains villages. Ce même partage est le prolongement du clivage politique qui accompagne l’affaire Dreyfus dans la dernière partie du XIXe siècle dont il reprend la fracture sociale.
Entre 1905 et 1940, l’ampleur du mouvement de création atteindra plus de 90 % du nombre de caves sur les 110 finalement réalisées à l’acmé des années 1965 pour 153 communes dans le Var.

Le développement des caves coopératives

C’est dans le Roussillon, à Maussane (Hérault), qu’est créée la première cave vinicole en 1905. Elle sera l’exemple sur lequel s’appuieront les premières caves du Var : Camps-la-Source (cave vinicole) et Cotignac (cave oéïcole) en 1906.
Trois phases successives de création se succéderont bornées par les conflits mondiaux : une phase pionnière avec 40 créations entre 1906 et 1914, une phase expérimentale entre 1920 et 1940 avec 50 créations, et une phase de consolidation entre 1944 et 1962 avec 20 créations, avant les restructurations et regroupements survenus depuis, liés au changement du secteur viticole et agricole du la fin du XXe siècle.
Dans le Var, deux communes sur trois comptent une, voire deux caves coopératives qui sont le signal architectural d’une organisation sociale et économique historique structurante du paysage rural.

L’architecture emblématique des caves coopératives

Avant le début de leur disparition du fait des restructurations économiques, dès 1989, le Service de l’Inventaire Régional de la région PACA avec le Conseil départemental a dressé un état des lieux des caves, reconnaissance et faire valoir de leur qualité patrimoniale.

La programmation

Cuverie de la cave La Fréjusienne, 1921. Drapéri, arch., Cliché Claude Arnaud

Une cave est faite pour réceptionner après pesage, la vendange à traiter dans un processus technique comprenant l’égrenage, le foulage, le pressage, la macération, et, la maturation par stockage en cuves maçonnées ou en béton armé, ou actuellement en cuve inox réfrigérée, éventuellement en foudre ou barriques de bois, et l’expédition à la vente. À ces espaces techniques s’ajoutent des locaux administratifs et d’habitations pour le gestionnaire.
Les bâtiments suivront ce cahier des charges d’un plan simple selon la forme d’un hangar agricole de base parallélépipédique, qui sera prolongé en extension ou par des bâtiments adjacents au fur et à mesure de l’accroissement du nombre d’adhérents, des quantités à traiter et des capacités de financement.
Les premières cuveries prévues sur un plan en fer à cheval seront remplacées par des cuveries alignées sur un couloir central plus modulables. Une cave, celle de La Londe-les-Maures, présente un système de cuverie original sur forme circulaire à double niveaux.
La deuxième génération de caves sera conçu, pour la plupart d’entre elles, avec les extensions en prévision dès l’origine des plans.

La localisation

Prévues pour recevoir le raisin à partir des champs, les caves sont situées au plus près de la desserte du vignoble le long d’une voie principale. Éventuellement à proximité du chemin de fer lorsqu’il existe (Brignolles, Tourves, Saint-Maximin, Fréjus). Elles sont à l’extérieur du village et forme un maillon entre village et campagne.
Dans le cas des villages perchés (Fox-Amphoux, Esparron-de-Pallières, La Cadière-d’Azur) les caves sont situées en pied de relief. Toutefois certaines caves seront situées en centre village comme à Varages et Mazaugues ou dans d’anciennes usines de chapellerie à Camps-la-Source et Cotignac, ou celle de Brignolles dans l’ancien couvent des Cordeliers avec les difficultés d’accès qui surviendront du fait de la motorisation et du trafic routier.

L’implantation

L’organisation des déplacements à l’origine se fait par tombereaux attelés, l’encombrement restreint des attelages et la circulation alors limitée ne sont pas incompatible avec une implantation en bord de voie. Un recul minimum par rapport à la voie est prévu ou juste une orientation en angle du bâtiment pour libérer un espace technique de desserte sur voie (comme à Brue-Auriac ou Seillons-Source-d’Argens).
L’équipement est intégré à l’organisation sociale du village, sans clôture et sans distance de sécurité
Avec l’évolution des techniques et la mécanisation, les volumes transportés sont plus conséquents et le conflit d’usage se reporte sur la voirie, même si cet encombrement reste limité du fait de la courte période des vendanges.
Les choix d’implantation de ces équipements à l’origine semble ne pas évaluer l’ampleur de leur évolution qui n’est pas imaginé dans toutes ses composantes futures.
Même si pour les caves plus récentes un espace tampon de service est respecté (Lorgues, Cuers, Collobrières).
Le caractère domestique reste prégnant dans l’équipement qui demeure communautaire sans privilégier sa dimension industrielle.
Le bâtiment est partagé par les coopérateurs et intégré à la vie sociale du village.
Cette implantation de proximité devient d’autant plus lisible que l’extension de l’urbanisation intègre à terme la cave dans le tissu villageois.
Par leur positionnement, les caves sont le premier édifice perçu aux abords du village, comme « le lien entre le milieu agricole et la vie du bourg »2 par leur proportion, leur isolement, leur esthétique, leur signalétique ou les abords paysagers d’accompagnement.

L’architecture

Les toutes premières caves seront construites par les administrateurs de la coopérative avec l’entreprise de construction avec ou sans architecte (selon les traces laissées en archives). Puis la commande est soutenue par l’État à travers le Service du Génie Rural, antenne départementale du ministère de l’Agriculture. Supervisé par un Ingénieur en Chef, assisté d’ingénieurs et adjoints techniques, il gère les attributions de subventions et intervient dans toutes les phases du montage du projet, du choix de l’architecte et de la construction.
Les plans intérieurs d’organisation sont conçus en espaces associés sur base carrée ou rectangulaire pour les différentes tâches de la chaîne du processus de traitement entre réception et stockage.
À l’extérieur, le mur pignon ou le mur gouttereau sur rue est le seul ouvragé et représentatif de l’activité.
Il comporte un espace d’accueil, quai, rampe de déchargement, éventuellement un avaloir, avec un auvent de protection. Un corps de bâtiment principal en parallélépipède de masse importante aux parois fermées avec de petites ouvertures de ventilation, permettant de contrôler la température intérieure favorable à la conservation.
Ce bâtiment originel est agrandi d’extensions, soit en longueur soit par adjonction de bâtiments contigus.

Les matériaux

Façade de la cave de Fréjus. © Jacques Guérin.
Photo de l’inventaire général, Cliché Helle-Roucaute, Intérieur des voûtes de la cave de Ramatuelle
Construits dès le début du XXe siècle en zone rurale, les caves seront réalisées en maçonnerie traditionnelle, de pierre pour les murs enduits à la chaux, charpentes en bois ou en fer, toitures en tuiles mécaniques de Marseille ; l’ensemble monté parfois par les coopérateurs, associés à un entrepreneur local. Puis les marchés seront passés avec des entreprises qui apporteront les matériaux préfabriqués, parpaings, poutrelles, procédés Hennebique pour celles qui sont détentrices de la licence d’exploitation, particulièrement pour les cuveries. Une cave plus récente (1955 créée par l’Architecte Bernard) celle de Ramatuelle est réalisée en béton armé pour la structure, les planchers et la cuverie.

La décoration

La façade principale est monumentalisée, empruntant à l’écriture régionale et classique, dans un registre de modernité «années trente».
Le classicisme dans la symétrie, décorations, chaînes d’angle, frontons, bandeaux, pilastres, triglyphes, balcons , frises en attique, etc… Le régionalisme apparaît dans l’emploi de la terre cuite, en parement, en toiture, en frise, en poteau, en pied droits de fenêtres, portiques. Par l’emploi de carreaux vernissés (type Salernes), en bandeau, en encadrement, en motif de décoration, en cabochons. Par les fresques colorées en badigeon de chaux ou de motifs floraux.
La façade sur rue porte aussi un cartouche avec le nom de la cave .Ce nom à l’origine est caractéristique de l’appartenance politique des coopérateurs reprenant la polarité entre les «Blancs» (La Laborieuse, l’Amicale, La Fraternelle, L’Econome) et les «Rouges» (l’Union, Les Travailleurs, La Ruche, La Clairvoyante). Ou plus communément une appellation liée au patronyme du village (La Lorguaise, la Brignolaise, La Monfortaise).
Dans leur nouvel agencement depuis les années 1980, avec le développement de la vente directe dans de nouveaux caveaux de dégustation et l’intervention sur les façades (lettrage, mise en peinture) ont redonné une lisibilité forte au bâtiment, au risque par certains aménagements de perdre l’écriture d’origine (Celliers de Ramatuelle).

Les intervenants

Hormis les ingénieurs du Génie Rural présents dès 1910, les archives malgré les lacunes pour l’origine du mouvement coopératif, font apparaître des noms d’architectes et d’entrepreneurs.
Quelques architectes interviennent plus régulièrement, Félix Boyer très actif dès 1910 (Trets, Cogolin, Bormes, Grimaud, Besse, Pourcieux) , Gastinel et Pétetin, Bernard, Dravet, Draperi («La Fréjusienne» Patrimoine XXe à Fréjus, Brue-Auriac, Garéoult, Néoules), Paul Page («La Laborieuse» à Bras, «la Thorronéenne» au Thoronnet), Henri Enjouvin associé à Fernand Pouillon, Collomp et Villeneuve dans les années 1950 et 1970.
Pour la plupart Architectes DPLG du Var (ou de la SADG à l’origine), aucun n’aura fait sa spécialité du projet de caves coopératives ni théorisé sur l’approche thématique des caves vinicoles. Comme certains architectes, les entrepreneurs interviennent plus régulièrement sur les chantiers, Verlaque (sur une dizaine de caves), Malamaire et Laurengo (sept caves), Bruno et Traversa (cinq caves), tous sont du Var, Mistre et Brunet à Brignolles, Félix Ghiot à Brue-Auriac.

Le devenir de ces caves coopératives.

Depuis les années 1980, les évolutions du secteur viticole ont modifié les pratiques entraînant un déclin des caves coopératives, plus de la moitié des établissements ont fermé du fait des regroupements de caves.
Bien qu’ayant fait l’objet d’un enquête du Service de l’Inventaire Régional (1989) et bien que reconnues pour deux caves comme Patrimoine XXe par le ministère de la Culture (« La Fréjusienne » construite par Draperi et, à Bras, le « caveau des Templiers » construit par Paul Page), ces constructions sont l’objet de désaffectation. Pourtant ces constructions sont un repère et des marqueurs dans le paysage des villages du Var, témoignage d’une époque, d’un mouvement social et économique historique. Elles sont le témoin d’une modification profonde du monde agricole, du passage du XIXe au XXe siècle pour une population rurale, accédant à la modernité, tout en préservant un savoir-faire traditionnel.
Le devenir des caves désaffectées est un enjeu auquel les villages sont confrontés. Entre démolition comme à Saint-Maximin ou Varages et reconversion comme à Ginasservis en centre culturel, Le Val en Caveau de Vente, le musée des Gueules Rouges dans l’ancienne coopérative de Tourves (Ruban du patrimoine en 2012), la médiathèque communale à Nans-les-Pins, un lieu de mémoire à Sainte-Anastasie-sur-Issole…

Exemple de reconversion : l’ancienne coopérative de Tourves devenue aujourd’hui le musée des Gueules Rouges. © Jacques Guérin.

Les exemples sont heureusement nombreux de la prise en compte de ce patrimoine par les communes qui cherchent à conserver ces constructions.
L’échantillon des reconversions apporte crédit à la possibilité de récupérer ces grands volumes parfaitement construits, malgré l’encombrement des ouvrages techniques, et à l’instar des minoteries dans le Nord, ou des silos à Marseille, leur avenir gagnerait à être envisagé dans un cadre plus large du tourisme œnologique ou du label national pour le vinotourisme obtenue par la Communauté de commune de la Provence Verte et pourrait alors devenir le vecteur d’une approche de valorisation respectueuse de leur spécificité.

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Bibliographie
Cette étude s’appuie sur l’enquête réalisée par Service régional de l’Inventaire et du Patrimoine de la Région PACA, avec le rapport final de Nicole Tuccelli : Les bâtiments coopératifs dans le Var, 1989.
Les publications de Yves Rinaudo, La naissance de la coopération viticole : les caves du Midi au milieu du XXème siècle, in la Revue de l’économie sociale, janv 1985.
Les coopératives vinicoles du Var, un siècle d’histoire, Cahiers de l’Association de l’Histoire Populaire Tourvaine, Claude Arnaud.
Karyn Orengo, Les Coopératives varoises, une architecture sociale et politique, article pour l’étude thématique du Patrimoine de la République menée par le service du Pays d’art et d’histoire du Syndicat Mixte du Pays de la Provence Verte, avec le Service de l’Inventaire et du Patrimoine de la Région PACA.

  1. Les vignobles plantés dans le sable, tel celui de Vassal (Marseillan-Plage) dans l’Hérault ont été protégés du phylloxéra (dans ce sable le phylloxéra ne survit pas) ce qui a permis à l’INRA de créer un conservatoire de variétés de vignes anciennes et non greffées, dont le déplacement est envisagé non sans d’éventuelles conséquences, voir « rencontre des cépages modestes », « semences paysannes », associations de protection des variétés anciennes.
  2. Nicolle Tuccelli, Les bâtiments coopératifs dans le Var, Service Régional de l’Inventaire et du Patrimoine de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur,1989.
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