Chateaugiron, un an après

À Marcolès (15), l’ancienne auberge, relais de diligence devenu restaurant gastronomique et chambres d’hôtes, contribue à l’attractivité de la Petite Cité de Caractère. © Pierre Soissons.
À Marcolès (15), l’ancienne auberge, relais de diligence devenu restaurant gastronomique et chambres d’hôtes, contribue à l’attractivité de la Petite Cité de Caractère. © Pierre Soissons.

Quand l’Association nationale des architectes des bâtiments de France a sollicité les Petites Cités de Caractère® de Bretagne et de France pour accueillir son colloque sur le thème « Alliances : revitalisons nos petites villes », elle a accéléré et amplifié une réflexion initiée depuis quelques années sur le projet et l’objet même de notre propre association.

Pour voir l’intégralité des interventions de Françoise Gatel au colloque Alliances, cliquer ici et ici

Depuis sa création au milieu des années 1970, le projet des Petites Cités de Caractère® cherchait, et cherche toujours, à définir et mettre en œuvre des projets municipaux à partir de la rencontre, autour du patrimoine, des acteurs de la culture, du tourisme, de l’architecture et de l’urbanisme. En plaçant les Zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP) puis les Sites patrimoniaux remarquables (SPR) au cœur de la charte des Petites Cités de Caractère®, nous cherchons ainsi à articuler temps long et temps court dans la définition et la construction des projets municipaux. C’est autour de ces projets que se font rencontres et dialogues entre élus et experts du patrimoine qui travaillent sur une même matière première mais dans des objets et des temporalités différentes. Cette approche générait déjà ses propres défis, avec de belles réussites de politiques fines, globales et sur le long terme, dans nos communes.

Depuis quelques années, nous commencions à interroger ce cadre et notamment la « matière première » patrimoniale : très marquée par une approche historique du patrimoine centrée sur l’objet, notre association avait entamé une réflexion sur la définition même de ce qui fait patrimoine dans les territoires : pour une meilleure appropriation par les habitants et usagers, comment intégrer le patrimoine immatériel, le patrimoine naturel, le patrimoine des personnes et les droits culturels…. dans la construction d’un projet patrimonial local ? L’intégration des préceptes du développement durable et la recherche d’un tourisme soutenable s’inscrivent également dans cette démarche.

La restauration de la Maison de la Presse a été le début la reconquête de l’habitat dans le centre historique de Saint-Calais (72). © Service culturel de Saint-Calais.
Ainsi, de plus en plus de communes s’appuient sur leur patrimoine pour aborder l’habitat (Saint-Calais, présenté au Congrès, a reconquis son centre ancien par une politique volontaire en faveur du logement), le maintien ou le développement des commerces (dans une commune comme Aubigny-sur-Nère, par exemple, qui limite les extensions de zones commerciales pour maintenir la présence de commerces dans le centre historique), les services (voir la création de logements, d’un pôle de santé et d’une médiathèque dans l’ancien petit séminaire à Pont-Croix, présenté également au Congrès)… autant de projets qui illustrent de belles politiques patrimoniales locales, et qui sortent d’un cadre thématique défini pour aller vers une approche transversale de la politique municipale, s’appuyant sur la gestion et la valorisation des héritages. En 2016, quand la Région Bretagne lance un Appel à manifestation d’intérêt centre-bourg pour accompagner des projets de revitalisation économique, les Petites Cités de Caractère® sont sur-représentées dans les premiers lauréats, sans forcément que la connexion soit établie entre les besoins de la revitalisation économique et la culture d’un projet global inhérente à un travail sur le patrimoine dans une commune Petite Cité de Caractère® dotée d’un SPR.
La restauration du Petit Séminaire : un modèle de partenariat public privé au cœur du projet de revitalisation économique à Pont Croix (29). © Mairie de Pont-Croix.
C’est donc à ce moment de notre propre réflexion que l’ANABF nous sollicite pour l’accompagner dans l’organisation du Congrès, mais aussi pour que nous lui fassions des propositions de retours d’expériences. Trouver dans le réseau des illustrations de la thématique « Alliances : revitalisons nos petites villes » fut aisé, et en faisant le choix d’accompagner chaque présentation d’un petit film vidéo, nous avions dans l’idée de pouvoir présenter ces projets au-delà du temps du colloque.

Dès le colloque, certains acteurs de l’aménagement du territoire ont découvert notre action et une expérimentation s’est mise en place dans les semaines qui ont suivi avec le Commissariat Massif Central pour un programme d’accompagnement à l’ingénierie dans les Petites Cités de Caractère® d’Auvergne Rhône Alpes.

Aménagement du territoire, logements, tourisme, villes durables, ÉcoQuartiers, etc : tous les acteurs de ces filières sont aujourd’hui prêts à reconnaître le patrimoine comme potentielle matière première pour créer les villes de demain, mais tous avouent manquer d’interlocuteurs pour partager les atouts mais aussi les besoins spécifiques des petites villes patrimoniales. La culture et le patrimoine sont devenus une porte d’entrée du dispositif Action Cœur de Ville (qui ne concerne pas nos communes), et peuvent être le socle du programme Petites Villes de Demain auquel nous sommes associés.

Pour les Petites Cités de Caractère®, Chateaugiron aura été le point 0 d’un nouveau projet, et nous a amenés, pour confirmer cette orientation, à reprendre nos approches et nos outils. Prolongeant les Plans d’aménagement du patrimoine en Bretagne, nous avons travaillé à proposer aux Petites Cités de Caractère® des outils méthodologiques pour qu’elles définissent leur projet de cité, en articulant un cadre règlementaire qui sécurise le patrimoine sur le long terme (toutes nos communes ont ou vont vers un SPR), avec des projets pluriannuels de valorisation des patrimoines qui leur permettent d’affronter les enjeux d’attractivité d’une petite ville d’aujourd’hui. L’ANABF a été associée à la construction de ces outils.

Cette orientation vers la revitalisation économique s’appuie alors, comme le font déjà certaines de nos communes, sur une approche du patrimoine non plus comme élément contributif d’une politique municipale, mais bien comme fil rouge de toute la politique municipale.

Un an après, et alors qu’un nouveau cycle commence avec l’accueil des nouvelles équipes municipales, notre projet associatif évolue vers la recherche d’un équilibre entre projet de revitalisation économique des petites unités urbaines à partir des patrimoines et ambition de devenir une marque de référence dans le champ du tourisme patrimonial et du tourisme soutenable. C’est une ambition qui nous motive, mais qui peut aussi être source de vertiges et sueurs froides, car elle nous amène à sortir de notre zone de confort, et nous confronte à quelques freins. La liste n’est malheureusement pas exhaustive :

Placer le patrimoine comme socle d’un projet de revitalisation induit des besoins en ingénierie nouveaux, des profils de chef de projets rares et qui doivent eux aussi évoluer en intégrant des objets culturels qui étaient plutôt délaissés que mobilisés dans la construction de la ville durable (il était, et reste, plus facile de s’affranchir des contraintes des Monuments historiques en allant construire à l’extérieur des espaces protégés).

Placer le patrimoine comme socle d’un projet de revitalisation requiert des besoins d’architectes pour imaginer la (petite) ville de demain, amener la création contemporaine dans les espaces protégés ou faire évoluer les fonctions de bâtiments anciens pour de nouveaux usages, quand nombre de nos communes sont, pour reprendre l’expression de Roger Bataille, Maire de la Petite Cité de Caractère® d’Ervy-le-Châtel, dans des « déserts architecturaux ».

Placer le patrimoine comme socle d’un projet de revitalisation demande également des besoins d’urbanistes et de paysagistes pour, encore et toujours, lutter contre l’uniformisation de l’urbanisme dans nos territoires. À l’heure où l’association cherche à préserver les particularités patrimoniales des communes, à travers les spécificités architecturales qui les composent, les aménagements urbains déployés dans ces mêmes communes contribuent souvent à une standardisation de l’espace public, espace normé avec un registre routier. Car, dans nos petites villes, un certain nombre de facteurs de standardisation sont régulièrement constatés :
⁃ l’utilisation quasi systématique des archétypes de la ville, même dans les bourgs ruraux,
⁃ la recherche du beau et du propre, normés dans le traitement des espaces publics,
⁃ les normes liées à la sécurité et à l’accessibilité,
⁃ les profils et les compétences des concepteurs, maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvre,
⁃ les dispositifs d’intervention dont les mécanismes ou les critères interrogent trop peu les questions de mixité des usages, de ressources locales et de sobriété.

Face à ce constat, plusieurs pistes d’amélioration se dessinent :
⁃ développer une approche partagée entre les techniciens et les élus,
⁃ sensibiliser les nouveaux élus au risque d’une trop grande confiance envers les concepteurs,
⁃ exiger des phases d’étude amont, également dite “avant-projet”, plus poussées (simulation 3D),
⁃ expliciter les attendus concernant l’architecture, la morphologie des villes et l’esprit des lieux,
⁃ rechercher des transitions plus douces entre les interventions urbaines et le patrimoine,
⁃ réfléchir à des dispositifs d’intervention renouvelés et plus adaptés (espaces paysagés…),
⁃ structurer et coordonner davantage les accompagnements proposés par les réseaux territoriaux, les ABF et les CAUE.

Une telle ambition demande une capitalisation et un partage d’expériences pour que l’innovation économique, sociale, architecturale…, réelle dans nos communes, puisse être portée à connaissance et partagée. Une partie de ces enjeux devrait trouver réponse dans le programme « Petites Villes de Demain » en cours de définition au moment où nous écrivons ces lignes.

Le colloque de Chateaugiron a donc confirmé qu’il fallait que nous prenions ce « virage » de la revitalisation économique à partir du patrimoine, enjeu majeur pour l’avenir de nos communes. Que la définition du projet patrimonial comme un projet global de cité durable et attractive, de tourisme culturel et soutenable, ne pouvait être que le fruit de la rencontre entre les élus, les experts, les habitants et usagers de la cité. Parce qu’il est aussi un formidable objet partagé par tous, le patrimoine est un support privilégié pour le « vivre ensemble » dans nos territoires. Le colloque de Chateaugiron nous a confortés enfin dans notre conviction déjà établie du rôle prépondérant des UDAP pour accompagner les élus locaux à relever ces défis.

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