Centre-ville, toutes directions…

Clisson (Loire atlantique) logements sociaux dans le centre historique. © Harmonie Habitat- B.Gaudin urbaniste coordinateur -Magnum Architectes.
Clisson (Loire atlantique) logements sociaux dans le centre historique. © Harmonie Habitat- B.Gaudin urbaniste coordinateur -Magnum Architectes.

En 2018-2019, l’association des architectes-conseils a conduit une étude visant à identifier les facteurs qui participent à la dévitalisation des centres : du bourg à la ville moyenne, ainsi que les outils et méthodes qui peuvent être utilisés pour y remédier1 . Les architectes-conseils de l’État ont mobilisé l’ensemble de leur réseau national pour illustrer leurs propos de diverses expérimentations vertueuses. Ils reviennent aujourd’hui sur le contexte de reconquêtes urbaines.

Pendant longtemps, la croissance urbaine s’est faite par densification, dans des extensions limitées qui accueillaient la gare et ses faubourgs, la poste, l’école, la halle de marché, commerces successifs et équipements. Logée dans un noyau urbain dense et contenu, la communauté a longtemps trouvé sur place le cadre d’activités multiples : laborieuses, commerciales, festives, culturelles… La grande mobilité et l’urbanisme issu de la Charte d’Athènes ont ensuite rompu cet équilibre et produit de grandes discontinuités spatiales. Au-delà du faubourg, la ville continue a éclaté. Le domaine urbanisé s’est agrandi de figures nouvelles sans continuité formelle ni proximité, dans le temps même où les centres des villes perdaient leurs habitants.

Aujourd’hui, en matière de revitalisation des centres, les politiques publiques se succèdent, énoncent et cumulent des actions spécifiques, individualisées, isolées, concentrées sur les symptômes propres. À chaque champ de la ville, une thématique…

Renouvellement urbain des quartiers d’habitat social, préservation et réhabilitation du patrimoine des centres anciens, maîtrise de l’étalement urbain : lotissements et centres commerciaux, construction d’écoquartiers, reconnaissent les diversités de situations urbaines et lancent des approches globales pertinentes et pourtant isolées. Un domaine plus large les réunit : c’est la ville dans son territoire qui est en question.

De nouveaux défis se présentent aux centres-villes. C’est désormais à l’échelle des territoires que les communautés de communes articulent les polarités pour recomposer centres et périphéries. Il s’agit de bien plus qu’une modification de gouvernance : la mise en commun d’investissements et d’équipements réinstalle l’aménagement dans des limites élargies. Les AMI2 centres-bourgs et le programme national Action Cœur de Ville – dont paraissent les premiers plans-guides - font appel à diverses combinaisons du même triptyque de programmes d’actions : espaces publics/ commerces/ habitat. Services, emplois, équipements devront suivre et compléter l’offre pour une ville des voisinages.

Le commerce

Clisson, commerces en rez-de-chaussée. © Connetable Patrick Miara.
L’étalement urbain (habitat, activités et commerces) est un produit de l’hyper mobilité, tant l’automobile et ses infrastructures ont rejoué les pratiques urbaines. Les modes de vie ont évolué et le modèle des échoppes artisanales de centres historiques appartient sans doute au passé. Son imagerie de vitrines et d’enseignes reste pourtant le modèle imité dans les galeries des supermarchés périphériques.

Dans les dernières décennies, les pratiques commerciales contemporaines se sont renouvelées plusieurs fois. Elles se transformeront encore ; les boutiques et les magasins de proximité, puis les grands magasins de centre-ville assemblés à l’espace public, les hypermarchés, puis les centres commerciaux de périphérie accolés aux infrastructures routières évoluent aujourd’hui vers la connexion immatérielle à l’espace de la toile électronique. Les circuits courts, la tendance bio et son artisanat sont les épiphénomènes qui, à la marge, accompagnent et complètent la succession des redéploiements. Dans une autre logique d’installation, ils trouvent place en ville, sur les marchés forains ou sur les lieux de production.
Si le développement de la consommation a sa propre logique marchande, la dévitalisation des commerces de centre-ville est aussi, et peut-être surtout, la conséquence de l’abandon de l’habitat en ville : dans la ville des proximités, pas d’habitants sans commerces et pas de commerces sans voisins.

Les espaces publics

Mont de Marsan (Landes) : la ville retourne vers sa rivière, rénove le port et les quais : le patrimoine comme moteur de la réappropriation des espaces publics. © Ville de Mont de Marsan, et Lancereau & Meyniel architectes, Exit paysagistes.
L’aménagement des espaces publics est souvent le premier, parfois le seul, volet opérationnel des AMI centres-bourgs. Cette tendance semble se répéter pour le plan Action Cœur de Ville.

C’est l’entrée la plus immédiate : souvent abordé par la transformation de la place centrale ou de la rue piétonne, l’espace public apparaît, dans le public, comme le bien propre d’une municipalité. Tel aménagement, en outre, peut-être immédiatement opérationnel : il n’appelle pas les préalables d’acquisitions foncières et adapte travaux et budgets aux financements mobilisables.
Pour autant, ces projets sont un peu l’aveu de la difficulté à agir devant l’ampleur des questions urbaines qui emmènent, dans un même mouvement, la reconquête du patrimoine, de l’habitat, des équipements et des services.

C’est aussi un sujet majeur, qui engage l’image et le confort de la cité, notamment lorsqu’il permet de bien régler l’épineuse question des mobilités dans les centres anciens : quelle place pour la circulation et le stationnement automobile, pour les modalités douces, quelle libération des rues et des places pour des espaces urbains valorisés et conviviaux ?
L’espace public est en effet, d’abord, un espace partagé.

Si la décision d’aménager est comprise au-delà de « l’effet travaux » et déclenchée par un projet urbain pertinent appuyé sur une étude « dézoomée » à la grande échelle du territoire, alors on peut attendre de vraies améliorations. Car l’espace public lie les quartiers qu’il parcourt dans une expérience singulière. Il articule les différentes échelles, enchaîne l’ensemble des composantes de la ville, installe le centre dans ses faubourgs, ses extensions périphériques et ses dépendances rurales. Il égrène ces séquences urbaines dans un espace continu, stable, mais varié.

Mieux que les distances décrites par les cercles de rayons en minutes ou hectomètres de marche, l’enchaînement des parcours habités construit la ville des proximités.

L’habitat et les activités en centre-ville

Ce sont les thèmes majeurs de la revitalisation urbaine. Pour que la lutte contre l’étalement urbain ne reste pas une incantation, bourgs et villes doivent séduire nombre d’habitants. Revalorisé, le parc de logements existants devra offrir, au-delà des aménités et services offerts par la centralité, des qualités résidentielles différentes, mais comparables à celles du périurbain, en termes de confort et de coût.

La structure urbaine

Juziers (Yvelines) réhabilitation d’une ferme avec aménagement de logements au centre-bourg. © Opievoy et P. Lépinay architecte.
Les villes, bourgs et villages historiques offrent un patrimoine architectural et urbain riche et varié, à la fois exceptionnel et familier. Souvent très dense (parcellaire serré et morcelé, grandes hauteurs, faible luminosité, mauvaise circulation de l’air…), les structures urbaines ne sont pas toujours faciles à adapter et ne peuvent être mises en concurrence immédiate avec le pavillonnaire.

Elles pourraient pourtant apporter d’autres conforts, d’autres plaisirs, et répondre à des attentes nouvelles. En centre-bourg, maisons, appartements, vastes plateaux en étage haut, successions de chambres individuelles sont aujourd’hui abandonnés faute de marché. Recomposés, regroupés ou divisés, ils peuvent contribuer à une offre nouvelle de logements, souvent sous de belles hauteurs sous plafond, et prolongés d’espaces extérieurs privés et protégés.

Si les opérations de reconquête visent souvent des populations spécifiques (jeunes, seniors, célibataires), des « ménages qui n’y pensaient pas », y compris parmi les néo-ruraux, pourraient s’y loger et contribuer à régénérer emplois, activités et logement dans la ville des proximités, lieu d’une collectivité vivante et diversifiée.

Mise en oeuvre

Reconstituer cette offre est parfois au prix d’une démolition, de l’ouverture d’un cœur d’îlot, d’un remembrement du parcellaire. Bien souvent, les centres anciens font l’objet de protections, et le dialogue avec les UDAP apporte la valeur ajoutée de la transformation. Par ailleurs, ces projets exigent une maîtrise foncière et une maîtrise d’ouvrage professionnelles, outre une maîtrise d’œuvre compétente.

Les OPAH et OPAH-RU sont-elles encore l’outil adapté ?… ce qui était facile à reconquérir l’est déjà, et la complexité des opérations à venir nécessite un portage foncier et des opérateurs spécialisés. Les EPF ont endossé ce rôle, mais les investisseurs (exemple loi Malraux) n’interviennent pas dans les petites villes. Quant aux bailleurs sociaux, qui ont souvent été moteurs, ils sont devenus très frileux envers les opérations dans les centres, en réhabilitation comme en neuf.
Pour associer les opérations de réhabilitation et de construction dans les centres anciens à un habitat de qualité offrant lumière, espaces, surfaces annexes…, les nouveaux dispositifs des lois LCAP et Elan favorisent la concertation entre les communes, les UDAP et les porteurs de projet, notamment grâce aux dispositifs des OAP Patrimoine.

Juziers (Yvelines) réhabilitation d’une ferme avec aménagement de logements au centre-bourg. © Opievoy et P. Lépinay architecte.

Au-delà, la question de l’équilibre économique est majeure. Quoique lié à la dimension et à l’attractivité de la ville, le coût d’acquisition du bâti ancien est encore largement surévalué et parfois bloqué par la rétention foncière (phénomène paradoxal mais classique de réduction de l’offre liée à la réduction de la demande). Et le coût des travaux est réputé élevé, en raison des techniques constructives, des normes, de la spécialisation nécessaire des entreprises et des exigences de matériau et de mise en œuvre au regard du contexte.

Les démarches du « permis de faire », les chantiers démonstrateurs de la démarche européenne ENERPAT pourront inspirer l’adaptation des exigences thermiques, acoustiques, de sécurité et d’accessibilité et vivifier le savoir-faire lié au bâti ancien.

Foix (Ariège) visite urbaine et travail en atelier : commune, conseils, DDT…
Les centres anciens des métropoles, largement réinvestis, montrent la voie. Les premiers exemples de bourgs et petites villes réussis, grâce aux efforts conjoints des élus, des investisseurs, des bailleurs sociaux et des particuliers donnent le ton. Les démarches collectives de telles reconquêtes, souvent pratiquées en atelier, associent les architectes des bâtiments de France avec leur connaissance du patrimoine, les architectes conseils, CAUE, parcs naturels, aménageurs, institutionnels (EPF, ADIL, ANAH, DDT…).
  1. 2019, Du centre-bourg à la ville, réinvestir les territoires, Association des architectes Conseils de l’État, DGALN, ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, et ministère de la Culture

    https://www.architectes-conseils.fr/publications/etude-centre-bourg

    https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/revitalisation-des-centres-bourgs
  2. Appel à manifestation d’intérêt.
Dans le même dossier