Une île au bout du bois

Plan des serres d’Auteuil. Sources Wikimedia
Plan des serres d’Auteuil. Sources Wikimedia

Les parcs urbains sont des enclaves par définition. En comparaison des trois grands parcs urbains parisiens (Monceau, Montsouris et les Buttes-Chaumont), les bois de Boulogne et de Vincennes, enserrés dans une urbanisation continue constituent des enclaves d’un genre particulier. Si les trois premiers sont limités par leurs grilles et si leur statut d’espace vert les protège de toute possibilité de constructions halogènes, il n’en est pas de même pour les deux bois encadrant Paris à l’Est et à l’Ouest.

Après que l’empereur Napoléon III en fit don aux parisiens, ils ont été aménagés et il est possible d’y attribuer des concessions avec une constructibilité limitée, pour des programmes culturels ou de loisirs. À cela, se rajoute un réseau de voiries de transit et de desserte qui assure une perméabilité avec la ville alentour.
L’augmentation de la fréquentation, celle de la circulation ainsi que les demandes récurrentes d’occupation des lieux, qui provoquent des constructions et des aménagements, temporaires ou définitifs, qu’il faut souvent étendre ensuite, ont progressivement amoindri l’effet d’enclavement de ces espaces mais leur confèrent une ambiance particulière entre nature confinée, plus ou moins aménagée, et réserve d’usage.

Le Bois de Boulogne

Plan de Paris par arrondissement ; Bois de Boulogne , Métropolitain, édition L. Guilmain à Paris (édition non datée mais antérieure à 1921). Sources Wikimedia.

Contrairement au bois de Vincennes qui a toujours été directement associé au château royal attenant et qui a été mieux préservé, le bois de Boulogne, vestige de l’ancienne forêt de Rouvray couvrant tout l’Ouest de Paris, fut d’abord racheté par Philippe-Auguste pour en faire une réserve de chasse. Il a ensuite eu, au cours du temps, un usage plus varié abritant notamment l’abbaye de Longchamp1 et le château de Madrid2 . Devenu bien national à la fin du XVIIIe siècle, il servit alors, pendant plus d’un demi-siècle, de pâture, de lieu de stockage, de terrain militaire ou encore de réserve de bois de chauffe, bref, de réserve à « tout faire ».

Les immeubles du boulevard Suchet depuis le lac supérieur. © Ph Cieren

Le bois de Boulogne est aujourd’hui clairement délimité par la Seine à l’Ouest puis, par l’urbanisation de Neuilly-sur-Seine au Nord, celle de Paris à l’Est (boulevards des Maréchaux) et celle de Boulogne-Billancourt au Sud. Les vues que l’on peut avoir du quartier de la Défense depuis les jardins de Bagatelle ou celles du front bâti du XVIe arrondissement, d’où émerge la Tour Eiffel, depuis les tribunes de l’hippodrome d’Auteuil3 montrent bien cet enclavement et la proximité des fronts bâtis.

Le quartier de La Défense depuis le parc de Bagatelle. © Ph Cieren

C’est donc à partir d’un lieu dégradé que l’Empereur confia au préfet Haussmann et à l’ingénieur Alphand, à partir de 1863, le projet de réhabilitation de cet espace dont les délimitations étaient alors assez proches de ce qu’elles sont devenues aujourd’hui ; la principale amputation étant le remplacement, à l’Ouest, des fortifications de Thiers et des glacis attenants par les boulevards des Maréchaux et la ceinture des îlots extérieurs.
Il faudra attendre 1957 pour que le Bois de Boulogne soit classé au titre des sites4 .
Cependant, force est de constater que, depuis la fin du XIXe siècle, la pression n’a fait que croître pour des demandes d’occupations qui sont de plus en plus boulimiques en surface, avec des enjeux qui vont bien au-delà du concept vertueux de permettre les loisirs et la détente des parisiens… L’exemple de la fondation Vuitton, réalisé par l’architecte Franck Gehry, dernier en date de ces aménagements ou les aménagements prévus sur l’hippodrome d’Auteuil sont symptomatiques de cette évolution. Faut-il le condamner au nom de l’intégrité du site classé et du leg impérial ? Ou au nom de l’usage détourné et privé du domaine public ? Ou bien, est-ce une évolution d’usage et de la demande sociale qu’il faut admettre ?

Le cas du stade Roland-Garros

Plan de Roland Garros. Sources Wikipédia

L’origine des internationaux de France de tennis remonte à 1925 quand le championnat de France de tennis s’ouvre aux étrangers. Le succès grandissant de ce sport aidé par la domination mondiale de la France (les 4 mousquetaires) et le fait qu’en 1928, la France s’apprête ainsi à jouer sa première finale à domicile. Cependant, aucun stade parisien n’est assez grand pour accueillir le public très nombreux.
C’est alors que la ville de Paris décide de concéder un terrain d’environ 3 hectares et de forme triangulaire, à l’extrémité Sud du Bois de Boulogne, près de la Porte d’Auteuil, pour permettre la construction d’un stade de tennis. Il verra le jour en quelques mois et ne cessera de se développer. Les Internationaux de France adoptent immédiatement le nom de Roland Garros5 et deviendront par la suite l’un des 4 tournois dits du “Grand Chelem”6 .
Mais, ce qu’on appelle le triangle historique7 , qui était en continuité du Bois de Boulogne en 1928, a été définitivement « insularisé », avec son voisin le jardin des serres d’Auteuil abritant les fameuses serres de Formigé, lors de la création en 1970 de la tranchée nécessaire à la bretelle d’accès à l’autoroute A13, depuis le boulevard périphérique.
Tout aurait pu rester ainsi si l’engouement croissant pour le tennis et les enjeux financiers s’y rattachant n’avaient pas amené la fédération française de tennis à saturer progressivement le site pour répondre à la demande. C’est cette logique qui conduit à rechercher de nouveaux espaces pour que le tournoi parisien puisse continuer à proposer un niveau de prestations et d’attractivité équivalent à celui de ses partenaires. Le prestige du tournoi de tennis étant en partie lié à cette implantation historique, l’hypothèse d’une délocalisation a été rapidement écartée. C’est donc sur place qu’il fallait rechercher une solution…

Les serres de Formigé. © Salix. Sources Wikimedia

Pour s’étendre sur place et « désenclaver » le site actuel deux solutions sont possibles : soit occuper les terrains voisins du jardin des serres d’Auteuil soit gagner du terrain au-dessus de la tranchée routière.
La première solution a l’intérêt d’être plus rapide à mettre en œuvre et moins coûteuse mais, elle est réduite en gain de surface et résout les problèmes de la fédération française de tennis pour un temps seulement. Elle a l’inconvénient de transformer l’usage et la cohérence d’un lieu patrimonial et, par ailleurs, la proximité du futur stade de 5 000 places qui est projeté avec les serres de Formigé8 , protégées au titre de monuments historiques9 , peut paraître problématique.
La seconde solution eut été de procéder à la couverture de l’autoroute, sur le flanc nord, donc, du triangle historique. Elle permettait plus de marge d’évolutions dans le futur et permettait de cicatriser la plaie béante et bruyante ouverte en 1970, de rétablir une continuité dans le site classé agissant ainsi comme une sorte de compensation au regard des nuisances de l’activité.
On peut cependant renverser les points de vue et considérer que la tranchée routière joue le rôle de douve protectrice pour le Bois et qu’il faut la conserver telle quelle afin de limiter physiquement les possibilités d’extensions de ce côté, considérant également que la densité d’occupation nécessaire au stade relève plus d’une forme d’urbanisation que d’un aménagement dans un site naturel. L’hypothèse d’occupation des jardins des serres d’Auteuil serait alors moins dommageable à terme pour le site classé… à condition d’avoir une vision d’ensemble.

Vision fragmentaire et à court terme des enjeux

Dans cette affaire plusieurs conceptions de l’usage d’un espace qui est à la fois urbain, social naturel et patrimonial s’affrontent, avec des visions partielles et partiales des enjeux : d’un côté les « conservateurs », qui veulent préserver sans concession les valeurs naturelles et patrimoniales du site mais qui refusent une vision plus large des enjeux, de l’autre, les « progressistes » qui sont favorables à l’évolution du site et pas toujours assez respectueux de ce même site ayant tendance à considérer les espaces libres comme des réserves foncières utilisables.
Les débats et polémiques autour du projet d’extension du stade Roland-Garros procèdent de ces principes. Il y a fort à craindre qu’ils resteront stériles, chacun des acteurs ne voulant pas se poser les bonnes questions et ne voulant pas admettre que l’ensemble des enjeux est à prendre en compte simultanément. Le fait que le sort du projet soit lié à une décision de justice sur la légalité du permis de construire en dit long sur l’absence d’un réel débat collectif.

  1. L’abbaye royale de Longchamp fut fondée en 1255 par Isabelle de France, sœur de Saint-Louis, dans la paroisse d’Auteuil. Détruite à la Révolution, elle se situait à l’emplacement de l’hippodrome de Longchamp.
  2. Le château de Madrid, d’abord appelé Château de Boulogne, était une résidence royale bâtie dans le bois de Boulogne. Construit à partir de 1528 pour François Ier et achevé pour Henri II vers 1552, il fut entièrement démoli à la fin du XVIIIe siècle. Les travaux furent dirigés par le Florentin Girolamo della Robbia et les Tourangeaux Pierre Gadier et Gatien François. À partir de 1548, l’architecte Philibert Delorme acheva les travaux.
  3. Les tribunes, dues à l’architecte Walter Destailleur, ont été inaugurées en 1873.
  4. Par arrêté ministériel du 23 septembre 1957.
  5. En hommage à un aviateur français, passionné de tennis et licencié au Stade Français
  6. Le “Grand Chelem” est composé de Wimbledon (1877), de l’Open d’Australie (1905) et de l’Us Open (1891).
  7. Le terrain, coincé entre l’avenue de la Porte d’Auteuil au Nord, le boulevard d’Auteuil au Sud qui forme la limite avec Boulogne-Billancourt, l’avenue Gordon Benett à l’Est, séparant le stade du jardin des serres d’Auteuil et le rond-point des anciens-Combattants à l’Ouest.
  8. Jean-Camille Formigé architecte (1845-1926), auteur notamment du viaduc d’Austerlitz, du crématorium du Père-Lachaise…. Il fut aussi architecte diocésain et, en 1910, fut nommé architecte en chef des bâtiments civils et également membre de l’institut.
  9. Voir note 4.
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