Arles, le parc des Ateliers, réhabilitation d’une friche ferroviaire

Carte de Cassini, Arles, extrait du rapport de présentation du PSMV (2016). © Mireille Pellen
Carte de Cassini, Arles, extrait du rapport de présentation du PSMV (2016). © Mireille Pellen

La géographie d’Arles, dernière colline de la vallée du Rhône avant la mer, donne à cette ville une géométrie singulière. Posée comme un caillou sur une plage, la ville est comme tangentée par des flux. Par le Rhône d’abord, qui va du nord au sud-ouest, mais aussi par ces fleuves modernes que sont l’autoroute au sud et la voie de chemin de fer à l’est. La construction de ces deux infrastructures a été facilitée par l’absence de relief des plaines de la Crau et de la Camargue. Ces voies ferrée et autoroutière sont comme aimantées par la présence de la ville historique.

La longue histoire de cette ville trouve elle-même son sens dans l’existence de ces flux. Depuis l’Antiquité, Arles est un port stratégique au débouché de la vallée du Rhône. L’autoroute, conçue durant les Trente Glorieuses, a repris pour son trafic Italie/Espagne le tracé de l’antique Via Aurelia. La voie de chemin de fer, quant à elle, a été décidée dès 1842, presque aux origines du développement du rail en France, pour relier Avignon à Marseille. Elle préfigurait l’emblématique ligne PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) et la ville a été choisie pour l’implantation d’un grand dépôt de machines et d’Ateliers généraux.

Alors que la nouvelle gare s’implantait juste au nord est de la ville, non loin de la dernière boucle du fleuve, les ateliers furent implantés à la sortie est de la ville, (vers Marseille et l’Italie), détruisant pour partie l’ancien cimetière des Alyscamps. Ces travaux sont venus trancher la colline du faubourg historique des Mouleyrès, dégageant ainsi de nombreux vestiges archéologiques qui constituent aujourd’hui une part importante de la collection du Musée de l’Arles antique. Ces ateliers ferroviaires d’Arles (machines, wagons, voitures), les dépôts des machines, les rotondes et l’atelier de chaudronnerie deviendront le premier employeur de la ville, comptant jusqu’à 1 800 ouvriers en 1920. Ces beaux bâtiments, couverts de vastes charpentes métalliques, ont été construits en deux campagnes, (1845-1865) et (1884-1899), puis l’activité est entrée en déclin à partir de 1960, jusqu’à la fermeture du site en 1984.

Rotonde des locomotives, extrait du rapport de présentation du PSMV (2016)

L’évolution de l’économie de cette ville moyenne qui voit ses moteurs industriels s’éteindre en cette fin de XXe siècle tient aujourd’hui en deux mots, tourisme et culture, avec, en arrière plan, un soutien du secteur public. La culture a ici une place naturelle, du fait de la présence d’un patrimoine exceptionnel, paysager avec la Camargue et les Alpilles, archéologique avec ses monuments et son musée et, enfin, architectural avec ses bâtiments antiques ou contemporains. Sans compter la présence de nombreux artistes attachés à cette région… Arles a accueilli et suscité les talents de Van Gogh et Gauguin, de Frédéric Mistral réinventeur d’une culture traditionnelle provençale, de Pablo Picasso avec ses tauromachies arlésiennes, de Lucien Clergue, photographe qui, avec l’écrivain Michel Tournier et le conservateur de musée Jean Maurice Rouquette, ont créé les Rencontres de la photographie. Enfin, Arles se trouve au cœur du réseau des grands festivals, Avignon, Orange, Aix-en-Provence, Montpellier, Nîmes et le Pont du Gard, La Roque-d’Anthéron…

On notera la présence en Arles de deux acteurs privés très engagés dans la vie culturelle et économique de la cité, les éditions Actes Sud, dirigées par Françoise Nyssen et les deux fondations Van Gogh et Luma, présidées par Maja Hoffmann, héritière du groupe pharmaceutique Roche. Ces personnes et leurs sociétés investissent fortement en Arles, y compris dans l’immobilier touristique, emploient de nombreux collaborateurs et accroissent la notoriété de la ville et le nombre de ses visiteurs.

L’État et les collectivités locales partenaires, ville, département, région, sont également très investis dans le développement des projets culturels arlésiens, à travers des financements apportés à des évènements comme les Rencontres de la photographie, aux travaux de restauration du patrimoine archéologique et historique, mais aussi en faisant fonctionner les musées et d’autres équipements culturels. Créée en 1982, puis confirmée comme établissement public en 2005, l’École Nationale Supérieure de la Photographie est le seul établissement d’enseignement supérieur consacré à la photographie en France. L’école dépend du ministère de la Culture, elle a une renommée internationale.

La situation de la friche ferroviaire d’Arles, à proximité immédiate du centre historique, a conduit la ville et ses partenaires publics à proposer ces terrains aux acteurs culturels précités. Entre 2005 et 2007, les architectes Alain Moatti et Henri Rivière ont réutilisé avec succès la grande halle des ateliers comme espace d’expositions. Ils ont proposé une ondoyante résille métallique en façade ainsi qu’une toiture en forme d’écran constituée de 130 000 points lumineux tri-chromes. Si cette toiture révolutionnaire est aujourd’hui en panne, cette réhabilitation a installé les Rencontres de la photographie aux ateliers et mis en place l’évolution culturelle de la friche.

Plan masse du concours pour l’école nationale supérieure de la photographie. © Marc Barani

L’aménageur chargé de la ZAC, l’AREA PACA a réparti les terrains disponibles, de part et d’autre de la voie de chemin de fer et du boulevard Victor Hugo en trois secteurs : le premier secteur, au-delà de la voie ferrée, vers la sortie de la ville est dédié à un programme mixte services logements et un établissement d’enseignement supérieur (IUT).

Friche ferroviaire au pied de la chapelle Saint Pierre rapport de présentation du PSMV (2016). © Élisabeth Bredin

Le second secteur, le plus vaste, où se trouvent les grands ateliers, a été entièrement pris en charge par Maja Hoffmann et sa Fondation Luma qui a fait appel à Frank Gehry pour concevoir un ensemble exceptionnel. Sur un terrain de 10 ha qui jouxte les jardins des Alyscamps, 37 200 m² sont ainsi créés et comprennent une création emblématique, la tour Gehry, haute de plus de 60 mètres et assortie d’équipements dévolus à la création artistique, aux arts plastiques, au spectacle vivant, au design…

La tour LUMA de Frank Gehry en construction. © François Gondran

Parmi les équipes d’artistes invités, on notera la présence de la compagnie de danse L.A. Dance Project dirigée par Benjamin Millepied. Dans ce même espace doit être présentée une oeuvre assez sophistiquée des artistes Jordan Wolfson +Colored Figure+. Les yeux de leur sculpture sont équipés d’un système de reconnaissance des visages qui lui permet de suivre le regard et les mouvements des visiteurs. Les ateliers ferroviaires subsistants sont réhabilités par l’Agence new-yorkaise d’Annabelle Selldorf, tandis que les jardins et espaces extérieurs, sur 6 hectares, sont conçus par l’architecte paysagiste Bas Smets.

La dernière partie de ces friches est la plus proche de la ville historique et se trouve entièrement située dans le secteur sauvegardé, bien qu’au-delà du rempart historique. C’est ce terrain qui a été réservé au Ministère de la Culture pour construire la nouvelle École Nationale Supérieure de la Photographie. Situé en contrebas du boulevard, ce terrain était l’ancienne plate-forme de la rotonde des locomotives, et avait littéralement tranché la colline, faisant apparaître d’anciens sarcophages et les fondations de la Chapelle romane Saint-Pierre-des-Mouleyres.
Un concours d’architecture organisé par l’Opérateur du Patrimoine et des Projets Immobiliers de la Culture a réuni cinq équipes d’architectes, Eduardo Souto de Moura, Corinne Vezzoni, Francis Soler, Rudy Ricciotti et Marc Barani.

Le projet lauréat, d’une grande élégance, établi par l’Atelier Marc Barani, fait apparaître à la vue des passants la ligne horizontale de son toit terrasse et la transparence du vitrage de l’espace dédié au public de son dernier niveau, laissant traverser leur regard jusqu’à la chapelle des Mouleyres. Les étages inférieurs dédiés aux étudiants sont abrités dans un large socle très peu percé qui reproduit l’aspect de la falaise et leur permet de trouver tous les équipements nécessaires à leur apprentissage technique. C’est si simple, l’architecture…

Vue perspective du concours pour l’École nationale supérieure de la photographie, le mail. © Marc Barani

Un autre projet, proposé par Rudy Ricciotti avec un parti assez proche, avait beaucoup intéressé le jury. Ce projet était encore plus radical dans sa relation avec la voie publique et la tour Gehry située de l’autre côté. Sa façade, donnant sur le mail de l’ancienne voie royale, s’effaçait, réduite à une simple toiture terrasse dans le plan du boulevard. Une seule émergence, sur trois niveaux, calée contre un mur pignon voisin sans intérêt, marquait l’entrée et signalait l’école depuis le pont qui marque cette entrée de ville. Le reste du bâtiment, en contrebas, proposait une dentelle de béton fibré et un jardin rugueux au pied de la chapelle et des sarcophages.

Toutes ces architectures, de papier ou destinées à compléter le paysage arlésien, ont pour fil conducteur de faire dialoguer des créations fortes avec un patrimoine exceptionnel et un grand paysage inspiré. En Arles, on ne peut qu’être impressionné par la présence des innombrables artistes, peintres, écrivains, cinéastes, photographes, architectes, dont les œuvres et les mânes habitent ce lieu ; lieu où l’on devrait toujours arriver par le train, en lisant un bon livre (éditeur Actes Sud) et en rêvant le long du Rhône aux temps de la marine gallo-romaine !

Vue perspective du concours pour l’École nationale supérieure de la photographie côté jardin. © Marc Barani

Bibliographie sommaire :

Arles, histoire, territoires et cultures, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Maurice Rouquette, Editeur, Imprimerie nationale (2008)

Arles contemporaine architectures et patrimoine du XXe siècle ouvrage collectif sous la direction d’Odile Caylux, Editeur Actes sud (2012)

Revue Monumental 2015 semestre 2, article de François Goven « La ZAC des Ateliers »

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