Pondichéry, le patrimoine planche de salut pour le développement

Pondichéry vient de poser sa candidature au programme « Smart City », avec pour enjeu majeur l’arrivée attendue – la déferlante – de la modernité dans une ville qui se targue d’être « patrimoniale » et qui entend le rester.

Extrait du masterplan de Pondichéry. © Town and City Planning Department Government of Puducherry

Cet article fait suite à un précédent article1 , où je vous parlais du projet de reconstruction de la Mairie de Pondichéry (1 sur le plan), suite à son effondrement en novembre 2014, avec en filigrane la question cruciale du programme, de l’usage, qui n’est toujours pas tranché aujourd’hui et qui rend caduque toute réflexion sur le projet. Les tentatives de discussion sur la reconstruction ont longtemps tourné autour de la question de la technique à employer, ce qui permettait d’escamoter le débat sur l’intérêt même de se doter à nouveau d’un équipement municipal sur cette parcelle stratégique. Laissons là ce débat pour l’instant, il reviendra en temps voulu… Et intéressons nous à la nouvelle candidature du territoire au programme « Smart City ».

Le patrimoine comme identité

À Pondichéry, tout le monde parle du patrimoine. Le mot « Heritage » est sur toutes les langues et employé à toutes les sauces. Heritage Town désigne la ville à l’intérieur des boulevards (2 sur le plan), également appelée « Boulevard Town ». De nombreuses « Heritage Gest Houses » reçoivent les touristes amateurs de « vintage ». Le nom même de Pondichéry évoque en Inde comme ailleurs une ville qui conserve jalousement les traces de son passé colonial français et où le temps semble s’être arrêté.

Quartier français, siège du Public Works Department (PWD). © Raphaël Gastebois

Le paradoxe de Pondichéry est que ce patrimoine ne bénéficie d’aucune protection légale et qu’il disparaît aussi vite que les grandes forêts tropicales depuis que le développement urbain s’est accéléré. Aucun monument national n’y est présent qui aurait généré une protection et une surveillance des abords par le « National Archaeological Survey of India », et les discussions entre les ONG et en particulier l’INTACH (Indian Trust for Art and Cultural Heritage) et l’administration locale sur la mise en place d’une législation spécifique pour protéger certains immeubles n’a pas encore abouti. Le temps s’écoule lentement, mais les immeubles en question disparaissent très vite.

Le programme « Smart City »

Partie intégrante du projet politique du premier ministre Narendra Modi, au pouvoir en Inde depuis mai 2014, ce programme a pris la forme d’un « Challenge » dans lequel 100 villes doivent apporter la preuve qu’elles peuvent porter un projet qui sera doté de 500 crores (70 millions d’euros) et qui répondra à un besoin global d’accès à l’eau, l’électricité, la gestion des déchets, la mobilité, le logement, la protection de l’environnement, les nouvelles technologies… Il s’agit rien moins que d’un programme de mise à niveau urbain accéléré qui doit tenir compte de l’explosion démographique des villes en les faisant entrer dans le monde d’après.
Des partenariats internationaux sont recherchés et la France est partenaire sur trois territoires : Chandigarh, Nagpur et Pondichéry.
Ce programme qui est défini par un « guideline » permettant aux territoires de monter leur projet propose trois grands types d’intervention :
− le « retrofitting », ou réhabilitation et mise à niveau de l’existant ;
− le « redeveloppment » ou reconstruction de la ville sur elle-même dans un esprit de rénovation urbaine ;
− le « greenfield » ou la construction de nouveaux quartiers dans des territoires ouverts à l’urbanisation.
Des « Smart solutions » doivent être proposées pour régler les problèmes de déchets, de fourniture d’énergie, de gestion de l’eau, de transport, de logement… et plus généralement de qualité de vie.
Après s’être un peu égaré dans un projet de greenfield peu réaliste car sans continuité territoriale avec la partie urbanisée du territoire, - projet non retenu par le gouvernement Indien -, le gouvernement de Pondichéry a décidé de reprendre les études à zéro avec un nouveau consultant et de se concentrer sur le centre historique de la ville.

Visite de terrain avec les consultants Smart City, quartier de pécheurs sud. © Raphaël Gastebois

L’aire d’étude couvre la ville dite « Boulevard Town », les quartiers de pêcheurs situés au nord et au sud (3 sur le plan), des friches industrielles (4) et portuaires (5), les franges construites sur les anciens bastions… Et l’ensemble de la municipalité de Pondichéry qui doit être concernée par des mesures dites « Pan City », terme qui recouvre les mesures d’accompagnement qui doivent permettre au territoire d’être progressivement contaminé par l’intelligence insufflée dans la ville centre.

Ancienne distillerie, friche industrielle, patrimoine du XXe siècle. © Raphaël Gastebois

Le « Smart City Proposal » qui sera présenté au ministère du Développement urbain en mars prochain entend faire la part belle au « retrofitting ». L’idée générale est qu’en lieu et place de céder à la facilité de la table rase ou de l’étalement urbain, l’enjeu majeur pour Pondichéry est de prendre en considération les nouveaux défis qui s’imposent à elle tout en conservant son identité et sa marque de fabrique conceptualisée par Nehru en 1954 : « Pondichéry, ville indienne reste une fenêtre ouverte sur la France ». Ce concept un peu flou évoque le patrimoine architectural et urbain, mais aussi un patrimoine immatériel basé sur la culture traditionnelle et sa confrontation durant trois siècles avec un système colonial non britannique qui a engendré des spécificités qui perdurent dans l’administration actuelle.

Maison franco tamoule à étage et modénature classique, quartier tamoule. © Raphaël Gastebois

La situation d’enclave a aussi donné au territoire un rapport particulier à la mer : une quasi insularité qui l’a longtemps mis en relation privilégiée avec les îles de l’océan Indien. La Réunion, principale étape sur la longue route des Indes, a toujours entretenu une étroite mais discrète proximité avec la destination mythique.

La déconnexion du territoire du réseau routier et ferroviaire indien est la conséquence de cet enclavement historique et pose aujourd’hui la question de se tourner vers des modes de transports alternatifs pour éviter une saturation de ses rues étroites et denses qui semble inévitable.
Les anciennes barrières et octrois se sont ouverts mais la ville reste prise en étau entre la volonté de suivre le moteur de la croissance indienne et un immobilisme confortable qui est son fond de commerce touristique avec un slogan « Give time a break ».

Un enjeu économique

Dans ce contexte, le projet de Smart City apparaît comme une opportunité de développement raisonné sans précédent depuis des décennies et également de clarifier la question patrimoniale : améliorer l’espace public et la mobilité, mieux protéger les éléments emblématiques et relancer le marché de la restauration et de la réhabilitation en tant que pourvoyeur d’emploi, retrouver un usage pour des édifices publics devenus obsolètes mais dont la qualité architecturale justifie la conservation…

Ancien tribunal d’appel en cours de restauration.© Raphaël Gastebois

L’inclusion du patrimoine dans une politique de développement durable ne fait plus débat chez les partenaires comme l’agence française de développement (AFD) qui suit étroitement le projet.
L’Institut Français en Inde est également mobilisé sur tout le territoire du pays pour une série de séminaires autour du lien entre la culture et l’économie urbaine. Un premier séminaire a eu lieu à Calcutta les 11 et 12 novembre dernier, rassemblant des acteurs culturels indiens et français et dont l’invitée d’honneur était l’architecte Odile Deck. Le prochain, en janvier, se situera dans le contexte du projet de piétonisation du Charminar à Hyderabad, en partenariat avec la ville de Bordeaux.
Pour Pondichéry, la participation à ces rencontres qui ont lieu sur le territoire Indien est une occasion de sortir d’un certain isolement et de renforcer la crédibilité de son projet vis à vis du gouvernement central. La prise de conscience qu’il y a un enjeu économique dans le patrimoine est réelle, la première preuve étant la volonté de travailler sur la ville existante sans la raser, et le potentiel touristique (près d’un million de touristes en 2014, dont 55 000 étrangers, essentiellement français) est l’argument majeur invoqué par les politiques locaux.
Parmi les premières pistes évoquées pour le retrofitting, la restauration de 21 édifices gouvernementaux, l’assainissement du grand canal (6) et la piétonisation progressive de Nehru Street (7), l’artère commerçante aujourd’hui engorgée, le prolongement de la promenade du front de mer aux quartiers de pêcheurs qui seraient ainsi désenclavés et offriraient une autre vision de la ville aux touristes qui tournent essentiellement dans le quartier français (8). Il est un peu tôt pour l’instant pour en dévoiler plus, rendez vous dans les mois à venir pour découvrir le nouveau visage dont voudra se doter le territoire pour parvenir à son objectif d’être une « destination touristique globale » dotée d’une « qualité de vie exemplaire pour ses habitants et spécialement pour les plus défavorisés ».

Collège Calvé, école gouvernementale dans un édifice patrimonial concerné par le projet de restauration de 21 édifices publics. © Raphaël Gastebois
  1. Voir La Pierre d’Angle n°67