Rénovation des constructions en pisé

Construction en pisé du XIXe siècle typique de l’Isère avec soubassement en maçonnerie de pierre. © Q.B. Bao
Construction en pisé du XIXe siècle typique de l’Isère avec soubassement en maçonnerie de pierre. © Q.B. Bao

Avec l’évolution de la réglementation visant à améliorer les performances énergétiques des habitations en général, la question de l’isolation des constructions en pisé se pose actuellement et les professionnels de la construction en pisé doivent faire face à une demande croissante de la part des propriétaires de ce type de maisons. Néanmoins, isoler une maison en pisé peut se révéler contre-productif voire dangereux pour l’intégrité du bâtiment.

Le pisé, une technique traditionnelle

La définition la plus usitée du pisé est sans doute celle donnée par l’architecte rural F. Cointeraux dans Les Cahiers de l’Ecole d’Architecture Rurale en 1790 :
« Le pisé est un procédé d’après lequel on construit les maisons avec de la terre, sans la soutenir par aucune pièce de bois, et sans la mélanger de paille ni de bourre. Il consiste à battre, lit par lit, entre des planches, à l’épaisseur des murs ordinaires, de la terre préparée à cet effet. Ainsi battue, elle se lie, prend de la consistance et forme un mélange homogène qui peut être élevée à toutes les hauteurs données pour les habitations (…). »
Le pisé est donc une technique de construction de mur en terre crue monolithique par superposition de couches de terre damée dans un coffrage (banches). Les murs obtenus sont porteurs et mesurent en moyenne 50 cm d’épaisseur. Les habitations en pisé se présentent généralement sur deux niveaux, mais on peut trouver des constructions plus imposantes comme, par exemple, cette immense usine-pension des soieries Girodon, située à Saint Siméon de Bressieux dans l’Isère et bâtie en 1870, qui est une des plus grandes constructions en pisé d’Europe.

Usine à Saint Siméon de Bressieux réhabilitée en logements. © P.A. Chabriac
Un pisoir d’après les carnets de F. Cointereaux (1790)

Le pisé traditionnel est fabriqué dans des banches en bois avec une dame manuelle, appelée pisoir ou encore fouloir, et monté sur un soubassement en maçonnerie de pierres, de briques ou de galets hourdés au mortier de chaux avec une hauteur moyenne de 50 cm. Les soubassements peuvent néanmoins avoir une hauteur variable dépendante de la topologie du terrain, des conditions extérieures (notamment ruissellement éventuel à proximité) et de l’utilisation qui sera faite du bâtiment – particulièrement dans le cas d’écuries ou d’étables où les animaux se frottent aux murs, les érodant à leur hauteur.
Pour des raisons géographiques et historiques, liées en particulier aux travaux de F. Cointeraux, le pisé du Lyonnais est souvent considéré comme la première référence en la matière tant au niveau des outils que de la mise en œuvre. Les pratiques du Bugey et Auvergnate apparaissent donc comme des variantes régionales.
(image: figure-4bis.jpg caption: Technique de banchage du pisé dans le Lyonnais (en haut) et dans le Bugey (en bas) d’après les carnets de F. Cointereaux (1790)

Jean-Baptiste Rondelet, dans son Traité théorique et pratique de l’art de bâtir, décrivait alors la construction en pisé au XIXe siècle en ces termes :
« Lorsque les murs en pisé sont bien faits, ils ne forment qu’une seule pièce, et lorsqu’ils sont revêtus à l’extérieur d’un bon enduit, ils peuvent durer des siècles. En 1764, je fus chargé de restaurer un ancien château dans le département de l’Ain. Il était bâti en pisé depuis plus de 150 ans. Les murs avaient acquis une dureté et une consistance égales aux pierres tendres de moyenne qualité, telles que la pierre de St-Leu. On fut obligé, pour agrandir les ouvertures et faire de nouveaux percements, de se servir de marteaux à pointe et à taillant, comme pour la pierre de taille. »

Le confort du pisé

Tout d’abord, l’épaisseur des murs en pisé (50 cm en moyenne) en font un matériau à forte inertie thermique. La chaleur captée durant la journée se diffuse lentement dans le mur pour atteindre l’intérieur durant la nuit. Ainsi, à l’automne, en hiver et au printemps, lorsque le soleil est bas, les murs captent un maximum de chaleur. L’été, en revanche, le soleil étant plus haut et, grâce aux débords de toitures – qui protègent également les murs des intempéries –, le rayonnement solaire est moins intercepté.
Il est également connu que la terre crue est un bon régulateur de l’humidité ambiante d’un bâtiment. Matériau poreux, le pisé a la capacité d’absorber l’eau sous forme vapeur (phénomène de sorption/désorption) ou liquide qui remonterait éventuellement par capillarité du soubassement – si celui-ci n’est pas totalement étanche – ou l’eau de pluie si celle-ci est localement interceptée par les façades extérieures. Cette eau s’accumule alors dans le mur pendant les phases humides et froides. Elle est ensuite restituée par évaporation dans l’atmosphère extérieure et intérieure pendant les phases ensoleillées plus chaudes. Or, lorsque l’eau passe de l’état liquide à l’état vapeur, en absorbant de l’énergie pour sa vaporisation, elle abaisse la température du mur (le même phénomène se produit lors de la transpiration du corps pour lutter contre la chaleur) et inversement, lorsque l’eau passe de l’état vapeur à l’état liquide, en restituant cette énergie, elle augmente la température du mur. Ainsi, en été une partie de l’énergie apportée par le soleil est consommée par l’évaporation de l’eau du mur et en hiver la condensation de la vapeur d’eau dans le mur lui apporte de la chaleur. On appelle « couplage hygrothermique » ou « transferts hygrothermiques » l’ensemble des interactions entre les transferts d’eau (liquide et vapeur) et de chaleur ayant lieu au sein d’un matériau poreux.

Schématisation du comportement hygrothermique d’un mur en pisé. Création P.A. Chabriac

Dans la littérature, les valeurs du coefficient de conductivité thermique λ (lambda) en fonction de la densité pour la terre en tant que matériau de construction sont légions et surtout éparses. Il est donc impossible de définir à l’avance une valeur unique de conductivité même en fonction de sa densité. On ne devrait donc pas parler DU pisé mais DES pisés Une mesure en laboratoire est donc nécessaire à chaque étude. De plus, comme on l’a vu précédemment, le pisé est un matériau capable d’absorber et de désorber de l’eau, or l’eau étant plus conductrice de la chaleur que les grains constituants le matériau, la conductivité thermique d’un pisé est proportionnelle à sa teneur en eau.
La teneur en eau et l’effet de changement de phase s’additionnent donc à l’inertie thermique du mur pour tempérer le climat intérieur du bâtiment. Ces caractéristiques rendent le comportement thermique de ce matériau plus complexe que celui des matériaux de construction dits « conventionnels » comme le béton et les calculs classiques de bureaux d’études ne s’appliquent pas correctement.

La rénovation des constructions en pisé

Traditionnellement, les constructions en pisé (et, plus généralement, toutes les constructions dont la terre crue est le liant) ne sont pas isolées. En cas de rénovation, la mise en place d’un isolant (ou d’un enduit) plus ou moins imperméable sur leur surface ne peut que perturber les phases d’humidification/séchage du mur. L’eau peut alors s’accumuler dans le mur et réduire sa résistance mécanique ce qui peut aller jusqu’à l’effondrement, surtout en cas de gel-dégel. Si une isolation et/ou un enduisage doivent être effectués, il est impératif de s’assurer de la perméabilité à la vapeur d’eau des matériaux utilisés (coefficient µ de résistance à la diffusion de vapeur inférieure à 9).
Les isolants imperméables à la vapeur d’eau (type polystyrènes et mousse de polyuréthane…) sont donc à proscrire aussi bien en intérieur qu’en extérieur pour le pisé. Les isolants poreux non-respirant (type laine minérale) risquent de se gorger d’eau en dessous du point de rosée (température à partir de laquelle l’humidité présente dans l’air se condense) et, une fois humides, perdre leur capacité d’isolation et entraîner d’autres pathologies comme le développement de moisissures, par exemple.
Concernant les enduits, il est important de proscrire les enduits à base de ciment. Il est fréquent de voir ceux-ci noircir, s’effriter et tomber du fait, généralement, de remontées capillaires qui le décollent (on retrouve le même type de pathologie sur les constructions en mâchefer, technique de construction descendant du pisé).

Remontées capillaires derrière un enduit au ciment, pathologie très fréquente. © P.A. Chabriac

Les matériaux isolants à privilégier pour une rénovation sont donc les matériaux perspirants comme le chanvre (vrac ou laine) ou la laine bois sous un bardage lui aussi perspirant, donc préférentiellement en bois. La mise en place d’un pare-vapeur est également à proscrire. Les seuls enduits compatibles avec les murs en terre crue sont ceux à base de terre, ou de chaux hydraulique naturelle (NHL) ou de chaux aérienne (CL et DL).
Toutes les considérations concernant la rénovation des constructions en pisé sont également valables pour toutes les architectures en terre crue comme la bauge, les torchis ou encore les colombages. Une attention particulière doit être portée à ces constructions afin de conserver un patrimoine riche et exceptionnel.